Juguler la grande démission, remporter la guerre des talents, lutter contre le désengagement des équipes…. Alors que le DRH est sur tous les fronts, son rôle traditionnel est pourtant souvent remis en question.  Ne serait-ce pas un crime de l’enterrer au moment où il se hisse à un rang éminemment stratégique ? 

78% des salariés de moins de 30 ans estiment que leur DRH accompagne les évolutions sociétales (égalité professionnelle femmes-hommes, politique RH inclusive, lutte contre les discriminations…) selon une étude du Cegos menée en 2019. Si, par une étrange lubie, on décidait d’achever le DRH en 2023, il mourrait au sommet de sa gloire. 

Car contrairement aux apparences, si le monde du travail est en plein bouleversement, si les désertions s’accumulent et que la peur change de camp (désormais plutôt côté direction que candidats), le DRH résiste plutôt bien au choc. La même étude indiquait ainsi que les DRH-RRH considéraient que leur métier s’était enrichi depuis 5 ans, 76% jugeant qu’il était devenu plus stratégique.

Le DRH, plus stratège qu’administrateur

La stratégie, c’est en effet la clef de voûte de cette profession par essence plurielle, dont les frontières se redessinent en permanence, au gré des évolutions sociétales. Étonnant, quand on sait qu’à ses prémices, les premiers DRH étaient souvent des profils issus de l’armée. 

Au fil des années, ce poste qui favorisait majoritairement l’ordre et l’organisation s’est enrichi de qualités humaines et sociales, d’une capacité à s’imprégner des changements sociétaux, pour faire coexister des besoins différents. 

Mais on ne peut ignorer que le DRH doit avant tout être stratège, au sens originel du terme. Le stratagos grec est en effet un général qui possède une vision à 360 degrés de ses troupes et de ses besoins. Selon le Larousse, le stratège a donc pour mission de coordonner l’action des actions, de manœuvrer habilement pour atteindre un but. Pour comprendre quelles qualités le DRH stratège doit assumer aujourd’hui, empruntons quelques considérations à l’un des plus fins stratèges de tous les temps, le philosophe chinois auteur de “L’art de la guerre”  (600 ans av. J-C)… Sun Tzu.

  1. « Ne répétez pas les mêmes tactiques victorieuses, mais adaptez-vous aux circonstances chaque fois particulières »

Inutile de rempiler une année supplémentaire comme DRH si vous ne savez pas vous adapter, tout particulièrement aux enjeux digitaux. Le DRH administratif est mort, vive le DRH outillé, digitalisé, notamment sur les tâches chronophages et administratives comme les outils de recrutement, la gestion de carrière, les paies, etc. Ce recours au numérique lui permet de gagner du temps pour se focaliser sur l’accompagnement de la direction. Le mot DRH est d’ailleurs assez restrictif au regard de ce que ce métier signifie désormais. Peut-être faut-il revoir l’ordre des termes de l’acronyme pour le transformer en DHR (Direction Humaine des Ressources) ! A défaut, la désignation HCM (Human Capital Manager), de plus en plus courante, est par exemple plus adaptée. Les “ressources” font référence à des moyens à disposition, extraits et exploités par une société dans le but de créer de la richesse. Le terme de “capital humain”, avec sa révérence essentialiste, semble plus juste : est capital ce qui compte, ce qui est important.

D’ailleurs, selon une étude Mercer publiée en mai 2022, 68% des collaborateurs ne rejoindraient une entreprise qu’à condition qu’ils puissent travailler à distance ou dans le cadre d’une convention hybride”. C’est au DRH de s’adapter à ces évolutions. Et c’est son devoir de recruteur de montrer que l’entreprise a su s’y adapter. Toujours selon la même étude, après la sécurité de l’emploi, l’image et la réputation sont désormais la seconde raison pour laquelle les individus ont rejoint leur entreprise actuelle.

  1. « Connais ton adversaire, connais-toi, et tu ne mettras pas ta victoire en danger »

Le DRH passif dans son recrutement a vécu. Aujourd’hui, il faut séduire, montrer son pouvoir d’attraction aux candidats, utiliser notamment les leviers marketing pour démontrer sa désirabilité sur le marché de l’emploi, retenir ses talents et les commuer en ambassadeurs enthousiastes. Pour cela, de nombreux outils existent : hackathons, vidéos, réseaux sociaux, concours, formations, employee advocacy,  enquêtes de satisfaction, etc. La guerre se déroule désormais essentiellement sur le front online, notamment pour les métiers du digital et du numérique, particulièrement pénuriques et en perpétuelle évolution. 

  1. « Un grand dirigeant commande par l’exemple et non par la force »

Toute la journée, un DRH gère des contradictions ce qui implique  souplesse, intelligence situationnelle, exemplarité plutôt que force et autoritarisme. Il faut recruter, fidéliser, mais aussi mettre fin à des contrats en soignant l’offboarding. C’est évidemment beaucoup de stress, une dose de schizophrénie, mais il faut trouver une certaine philosophie, une cohérence, un sens dans ce que l’on met en œuvre. 

S’il y a bel et bien une crise des corps intermédiaires, le DRH est en première ligne sur le front, car il est l’interface entre l’équipe dirigeante et les collaborateurs. Il y a une attente très forte sur ses épaules pour garantir le sentiment de groupe et la confiance dans l’entreprise, y compris le sentiment d’appartenance. Cette position interfaciale n’est pas sans occasionner certains dommages. Si “en 2021, les RH se sentent toujours utiles, motivés et épanouis, puisqu’ils sont 75% à penser que les salariés ont une bonne image d’eux”, ils se déclarent majoritairement épuisés (82%), frustrés et même isolés (71%). Charge à eux donc de prendre soin de leur santé mentale en apprenant à déléguer, à se former et à s’entourer, car le métier se complexifie au fil des ans.

  1. « Traite tes soldats comme tu traiterais ton fils bien-aimé »

La manière de considérer le travail aujourd’hui est totalement différente par rapport il y a quelques années. Et la manière dont on est DRH aussi, naturellement. Une chose n’a cependant pas changé : la symétrie de l’attention. Traite bien tes collaborateurs, ils te traiteront bien en retour. Depuis le Covid, il y a eu une prise de conscience, plus forte encore, de la nécessité de prendre soin du bien-être et de la santé mentale des collaborateurs. Les managers et les DRH doivent s’adapter à leurs besoins, être à leur écoute, en particulier les jeunes collaborateurs qui recherchent de l’authenticité et de la spontanéité. Il est important de prendre le temps d’aller à leur rencontre, d’être attentif pour mieux les comprendre et les accompagner. Fini le temps où les collaborateurs concevaient leur job comme quelque chose de laborieux. La génération qui arrive veut du sens, éprouver une expérience capable de lui procurer du plaisir. Elle veut une vie en dehors du boulot, et sans doute n’a-t-elle pas tort.

  1. « Celui qui excelle à résoudre les difficultés le fait avant qu’elles ne surviennent »

On ne réussit rien, seul avec ses convictions. Là où être en accord avec soi-même est fondamental, être d’accord avec soi-même a rarement fait progresser quelqu’un. Autrement dit, rien ne vaut le dialogue pour faire avancer les choses. La mission première du DRH est d’embarquer toute une équipe sur ses sujets, mais aussi d’être capable de maintenir un bon climat entre la direction et les collaborateurs. Pour cela, le dialogue social est fondamental. Cela passe par : travailler main dans la main avec son DG pour avoir une vision cohérente et commune et, ainsi, former un binôme aligné sur les objectifs et les moyens mis en place pour les atteindre. Ensuite, il convient de faire des managers de véritables « antennes relais » de la communication et de la pédagogie dans le groupe. En bref, le DRH a un rôle de liant pour que le collectif fonctionne. Il entraîne et pilote les équipes pour qu’un travail collaboratif permette l’émergence de décisions. Il doit également être capable d’anticiper les changements pour résoudre les problèmes avant qu’ils ne fassent trop de dégâts. En d’autres termes, le DRH doit aussi être visionnaire. Il a en effet un rôle essentiel d’observateur de l’intérieur et de l’extérieur qui lui permet de capter le contexte économique et les attentes des collaborateurs, avant que le climat social n’en pâtisse. L’étude Mercer a par exemple montré que “toutes catégories confondues, les inquiétudes liées au pouvoir d’achat ont augmenté : 48% des salariés déclarent craindre pour leur avenir financier”. C’est typiquement le genre d’informations qui ne devrait pas échapper à son attention.

Ici aussi, l’information est la clef pour prendre les bonnes décisions et appliquer une stratégie adaptée. 

Sun Tzu disait : “Celui qui n’a pas d’objectifs ne risque pas de les atteindre”. La singularité des objectifs du DRH est qu’ils sont dépourvus de toute dimension personnelle mais toujours dirigés vers les autres. Ses objectifs sont d’entendre et d’anticiper ceux d’une multitude de collaborateurs, et de savoir les unifier. Une fois identifiés et réunis pour converger, tous ces objectifs génèrent une tension positive qui constitue l’irremplaçable énergie motrice d’une entreprise. 

Article initialement paru dans Forbes.