Confrontées à une pénurie des talents et aux nouvelles attentes des candidats à l’embauche, les entreprises doivent désormais chouchouter une double clientèle : à l’extérieur, les clients traditionnels, mais aussi à l’intérieur, ces nouveaux clients que sont devenus les collaborateurs.

La pénurie de talents sévit dans le monde de la tech, faisant des victimes dans presque toutes les entreprises, qu’importe leur taille et leur passif. Et si, au lieu de se battre, avec comme seules armes, des locaux instagrammables, des tables de ping-pong ou des baby-foot, et des zéros supplémentaires au salaire, on remettait le recrutement en question ? Obsolètes, les congés payés et la mutuelle ne suffisent plus à faire la différence. Il est temps de percer la ligne de front et de dessiner de nouvelles frontières. 

Il n’est pas tant question de “guerre” – terme intrinsèquement lié au domaine militaire et à la violence – que de séduction et d’attention. Mais sans faux-semblants et sans paillettes ! Pour s’entourer des meilleurs talents, c’est en effet toute l’entreprise qui doit revoir sa posture, individualiser et humaniser le recrutement pour dépasser le rapport classique du salariat au travail. 

Un nouveau rapport de force

La guerre gronde tout particulièrement dans le monde de la tech, avide de cerveaux bien faits et de compétences en perpétuelle évolution. Les combats sont rudes pour dénicher et fidéliser les talents avec des connaissances technologiques pointues. Pour gagner cette bataille, les Ressources Humaines recourent désormais aux techniques du marketing pour attirer les candidats : ciblage, campagne, retour sur investissement, etc.

Ce changement ne provient bien évidemment pas d’un désamour pour la technique. Au contraire, omniprésente, celle-ci prend sa revanche sur des matières qu’on considérait plus nobles auparavant, notamment la recherche fondamentale qui l’a longtemps considérée comme un parent pauvre ou un servile agent d’exécution. Le problème est plus prosaïque : il n’y a pas suffisamment d’ingénieurs formés, surtout chez les femmes. En outre, la technologie évolue très rapidement et les formations et certifications, qui par ailleurs manquent, ne parviennent pas à suivre cet essor.

La pandémie a également bouleversé les modes de vie et redessiné les attentes vis-à-vis des entreprises : télétravail omniprésent floutant la ligne de démarcation entre vie professionnelle et personnelle, changement des modes de déplacement, etc. Ce contexte change la donne du recrutement et de la fidélisation des talents. À l’entreprise de s’adapter à ces nouvelles frontières.

L’authenticité comme atout majeur

Entre l’avènement des réseaux sociaux, l’urgence climatique et les différentes crises économiques, la pyramide de Maslow – qui interprète les besoins et le niveau de motivation – s’est modifiée, témoignant ainsi de l’évolution des attentes des candidats. Parfois qualifiés de narcissiques individualistes, les nouveaux salariés affichent souvent une grande exigence envers leur entreprise. Elisabeth Soulié, anthropologue, coach et auteure de « La Génération Z aux rayons X » explique d’ailleurs qu’ils ont à la fois besoin de se sentir utiles à la société, mais aussi de s’assurer que l’entreprise les fait grandir. « Ils veulent expérimenter. Acquérir de nouvelles compétences, se voir confier des responsabilités, le tout dans un environnement de travail très agréable », tel est le triptyque gagnant de leur motivation.

Pour ce faire, les candidats vont donc miser sur les managers et leur équipe. Ils ne seront peut-être pas les plus fidèles à l’entreprise, mais ils le seront envers leur manager. La valeur de la collaboration est donc primordiale. Les candidats recherchent un manager empathique, qui fait circuler l’information. Ils veulent que leur avis soit pris en compte. L’authenticité se vit aussi en ligne, où de nombreux candidats cherchent des espaces dépourvus de strass et de filtres. 

Toujours plus de clients

Pour gagner cette guerre de séduction, une réflexion approfondie pour établir une stratégie de recrutement reflétant la culture d’entreprise est indispensable. La marque employeur doit mettre en lumière qui elle est, ses valeurs, sa mission. Cette communication, qui se doit d’être honnête, passe par des portraits de collaborateurs, des articles, des tribunes pour démontrer une expertise, des actions RSE, des salons, etc. Toute l’entreprise devant participer, c’est un travail collectif qui implique une porosité entre les RH, et le marketing bien sûr, mais aussi les autres services.

Les échanges se déplacent également sur le front des réseaux sociaux, car le recrutement est aujourd’hui à la fois physique et digital, avec des aller-retours incessants et des propos qui doivent être parfaitement alignés sur les deux canaux. Il est indispensable de se forger une présence forte, de partager ses projets et ses missions de manière sincère, transparente et positive. Cette démarche nécessite d’être proche des candidats, d’échanger sur LinkedIn en les contactant de manière directe, de s’intéresser à leurs projets personnels, bref de les envisager dans leur ensemble.

Les RH doivent opérer des choix autant techniques qu’émotionnels pour prévenir les infidélités. Car seuls les collaborateurs en adéquation avec les valeurs, les managers et les propositions à la carte, resteront. Cette étape ne constitue qu’un premier pas. Ensuite, pour convaincre sur le long terme, il faudra faire preuve de beaucoup de souplesse : une après-midi off pour la pratique d’un sport ? Des formations pointues tout au long de l’année, une perspective d’évolution à court terme ? Les entreprises ne peuvent pas toutes se permettre cette avalanche d’avantages. Une chose est sûre cependant : il faut considérer ses talents comme des clients. L’entreprise doit s’ouvrir vers l’intérieur, autant qu’elle est ouverte vers l’extérieur. Aux clients externes, qui sont un des piliers de la situation financière des entreprises, s’ajoutent désormais ces clients internes que sont les salariés. Or, l’adage ne dit-il pas que le client est roi ? Sans oublier la fameuse symétrie des attentions qui consiste à prendre soin de ses collaborateurs pour qu’ils offrent en retour un service client irréprochable.

Face à ces constats, les entreprises doivent donc repenser leurs processus et surtout apprendre à garder le lien avec les candidats qui quittent le navire. En cela, la multiplication des programmes « boomerang » va dans le bon sens en leur disant en substance : « Cher démissionnaire, à bientôt, on se reverra ! »

La guerre des talents ne se gagnera pas en un jour. C’est une guerre de position, de longue haleine, qui nécessite une réelle agilité, un esprit ouvert. Guidés par la transparence, le sens, l’empathie, l’authenticité et l’attention réelle aux personnes, ces bouleversements seront forcément positifs et marqueront peut-être un moment charnière : celui du déclin d’un modèle de travail rigoriste né au 19ème siècle et dont les méthodes ont perduré jusqu’à ce jour.

Article initialement paru dans Forbes