Omniprésente, presque omnipotente, la donnée est le fer de lance du progrès technologique. Et l’humain dans tout ça ? Il s’adapte, avec plus ou moins de succès, plus ou moins de moyens.

Cette familiarisation avec un nouvel écosystème ne se fait pas en un jour, le nouvel or noir nécessitant toujours plus d’extracteurs, de collecteurs et de raffineurs. Comment adapter notre capacité de traitement et d’analyse à des volumes de données de plus en plus conséquents ? Assiste-t-on vraiment à une crise de la main-d’oeuvre qualifiée ?

Avec l’émergence de la donnée comme moteur de croissance, de développement, et plus généralement de progrès, on voit poindre une inadéquation entre son omniprésence et la capacité humaine de traitement qu’elle nécessite. C’est ainsi qu’apparaissent peu à peu des théories d’une crise de la main-d’oeuvre concernant les postes les plus qualifiés de développeurs, d’architectes ou ingénieurs de données. Or, dans “crise de la main-d’oeuvre”, il y a “crise”, il y a “main”, et il y a “oeuvre”.

Dans ce triptyque, comment s’articule la réalité du concept face au poids des mots qui le composent ? À formule théorique, réponse rhétorique : un peu entre les lignes. Et si, au fond, le sujet n’était pas si alarmant ? Et si repenser l’équation suffisait à résoudre le problème qu’elle désigne, un peu facilement posé, et affirmé sans suffisamment de recul par de nombreux experts ?

Et tout devint donnée

Prenons les termes dans le désordre : l’oeuvre. En l’occurrence, l’objet de l’équation. Dans celle qui nous intéresse, c’est la donnée.

Toujours plus importante, toujours plus utile, toujours plus mobilisée, la donnée est partout, pour tout le monde, tout le temps. Sur un hypothétique marché de spéculation, la valeur « donnée » serait sans nul doute fortement à la hausse.

Il est néanmoins utile de la mettre en regard du deuxième terme de l’équation : « la main ». Car en démultipliant son volume, la donnée implique nécessairement une démultiplication proportionnelle de sa gestion. Ici, c’est la capacité de l’être humain qui est mise à rude épreuve. Il doit traiter un nombre croissant, exponentiel, de données.

C’est évidemment là que le bât blesse. La donnée existe. Elle se révèle, s’analyse, se classe. Mais les opportunités sont déterminées par l’habileté de celles et ceux qui la traitent. Or, l’évolution récente du volume de données créées est une véritable révolution à laquelle les dispositifs de traitement préexistants et les capacités dont ils disposaient n’étaient pas du tout en mesure de répondre efficacement.

Mais loin d’être une limite structurelle, c’est avant tout le symptôme d’un monde en plein bouleversement, avec son lot d’opportunités. Du rapport entre l’augmentation constante du volume à traiter et le développement des compétences de traitement de l’être humain dépendra le véritable essor de l’ère de la donnée.

Vers un Bac option Data ?

C’est précisément cette deuxième dimension, l’adéquation entre les opportunités qu’offre la recrudescence des données et nos aptitudes à les traiter, qui nécessite une profonde réflexion. Plutôt que de regarder avec anxiété la crise de la main-d’oeuvre du traitement des données, il convient de faire évoluer nos modes de formation, nos méthodologies et nos rythmes d’apprentissage, pour adapter cette fameuse main-d’oeuvre à l’énorme potentiel du monde de la donnée. C’est notamment grâce à la circulation croissante des données que sont apparus de nombreux nouveaux moyens d’accès à l’information.

La gestion des données est un monde complexe ? Certes, mais il n’a jamais été aussi facile de se former en ligne. L’éducation coûte de plus en plus cher ? Pourtant, avec un téléphone connecté à internet, on peut avoir gratuitement accès en trois clics à des milliers de modules d’apprentissage (ou de tutoriels). L’apprentissage a déjà évolué, d’abord par l’usage. Les institutions doivent s’adapter à ce nouvel équilibre, le cursus scolaire en tête.

L’université peut enseigner de nombreux savoirs fondamentaux dans l’approche du traitement et de l’analyse des données. Mais au rythme où évolue la connaissance en la matière, imaginer qu’elle pourrait être la source exclusive de savoir paraît très ambitieux, voire irréaliste. Les avancées technologiques, tout comme les sources de plus en plus nombreuses qui collectent, traitent et transmettent des données, rendent de fait cette idée obsolète.

Qui aurait pu imaginer il y a 20 ans qu’un réfrigérateur allait pouvoir stocker des données sur la température ambiante, son taux de remplissage, ou nos schémas de consommation d’aliments ? Dans un monde en constant bouleversement, l’agilité est une vertu indispensable.

C’est donc à la fois un changement de paradigme pour l’individu, qui doit penser son processus d’apprentissage comme un chemin infini, une course sans ligne d’arrivée, et pour les organisations, entreprises, collectivités, universités, qui doivent créer les contextes favorables à cet apprentissage en continu. Le défi à relever est en outre autant philosophique que matériel, avec la fourniture d’outils capables de gérer une puissance de calcul de plus en plus grande.

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Santé, énergie, nutrition, sécurité, tous les grands enjeux de notre ère ont pour dénominateur commun le rôle primordial que la donnée peut y jouer. Make the world a better place est devenu un slogan quelque peu galvaudé par la récurrence de son usage dans des contextes pas toujours vertueux.

Pourtant, le monde a tant à gagner grâce à la donnée. Car avant d’être un octet, une suite de chiffres, la donnée est le moyen d’une connaissance, d’un approfondissement, d’un enseignement. C’est un levier de croissance et de progrès.

L’appréhender le mieux possible permettra à n’en pas douter des avancées considérables dans des domaines qui nous touchent tous. Peut-être que le temps où chacun d’entre nous sera capable de traiter et d’analyser des données n’est pas encore venu, peut-être est-il encore loin ? Toujours est-il qu’il sera précédé, et ce, de façon beaucoup plus imminente, de celui où nos existences seront toutes impactées d’une façon ou d’une autre par ces suites de chiffres. Autant prendre les devants, non ?

Après tout, pour reprendre les mots d’Edgar Morin dans Pour une crisologie : « Il nous faut donc associer ces notions de crise, évolution, révolution, régression, au lieu d’en sélectionner une et éliminer les autres. Nous vivons tout cela à la fois. Et notre incertitude, c’est de ne savoir lequel de ces termes sera finalement décisif ».

L’incertitude a ceci d’exaltant qu’elle permet à tous les possibles de se déployer. L’incertitude concerne par principe la question des limites, c’est ainsi que la définition de ces nouvelles frontières figure parmi les grands défis de l’Être technologique, celui d’un avenir qui est déjà là.

Article initialement paru dans emarketing.fr.