Et si on arrêtait de faire de nos villes de superficiels parcs d’attraction ? Oui, certaines façades ont de l’allure. Mais, dans leur grande majorité, les bâtiments français sont surtout des passoires thermiques. Face au coût environnemental désastreux qu’ils engendrent, il est urgent de repenser notre vision de la construction pour s’orienter vers une offre plus vertueuse. Pour cela, il faut d’abord déconstruire nos codes et critères en la matière. Maquettes numériques, jumeaux numériques, et technologies BIM vont jouer un rôle capital…

Si vous avez construit vos châteaux dans les nuages, votre œuvre n’est pas perdue, car c’est là qu’ils doivent être. Installez-les maintenant sur des fondations”, affirmait, au XIXe siècle, le penseur naturaliste Henry Thoreau. Mais pour poser des fondations solides, encore faut-il prendre conscience des enjeux du bâtiment et de son impact écologique. Car, en dépit des nombreuses dénégations des acteurs du monde de la construction, le bilan est catastrophique : le secteur représente 43% de la consommation énergétique annuelle et génère 23% des émissions de gaz à effet de serre dans l’Hexagone, selon le ministère de l’Écologie.

Face à ce constat, la loi de transition énergétique pour la croissance verte vise une réduction de 50% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et la neutralité carbone à l’horizon 2050 pour le monde de la construction.

Ces objectifs ambitieux nous appellent à repenser rapidement les modèles en matière de performance énergétique. Et ce, dès les premières étapes de conception. Pour que les constructions vertueuses de demain ne restent pas de simples châteaux dans le ciel dépourvus de fondations.

Regarder derrière la façade

L’industrie du bâtiment a longtemps pâti d’une orientation architecturale désastreuse reposant sur la conservation apparente de la forme : le façadisme. En clair, afin de privilégier l’esthétisme du bâtiment, les architectes avaient pour fâcheuse habitude de mettre la priorité sur la façade plutôt que de se concentrer sur la qualité de vie intérieure et la performance énergétique.  Si cette approche permet a priori de concilier l’ancien avec les évolutions technologiques modernes, elle privilégie surtout l’esthétique des bâtiments, au détriment des performances écologiques. (et de l’habitabilité)

Dans le cas des grands ensembles de logements collectifs, l’un des problèmes les plus importants en matière de construction est l’omniprésence du béton-ciment. La production de ce matériau, chargé de coller entre eux les cailloux et le sable du béton, représente à lui seul 7% des émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2), selon l’Association mondiale du ciment et du béton (GCCA).

Véritable menace pour la biodiversité, polluant et non recyclable, le béton se retrouve pourtant aujourd’hui dans la plupart des constructions modernes. Il est donc urgent que tous les acteurs du secteur fassent l’effort de réduire leur utilisation de béton, car ce matériau est utilisé en priorité dans plus de 96% des constructions.

Une révolution sans façade

Pour parvenir, entre autres, à ce but, il existe une petite révolution technologique : le jumeau numérique, ou BIM, pour Building Information Modeling. Loin de la maquette 3D traditionnelle, qui se limite à l’observation et à la représentation, il permet de saisir sept fois plus d’informations grâce à sa référence de données qui couvre le cycle de vie entier de l’élément représenté : sa conception, fabrication, construction, exploitation, maintenance, utilisation et réutilisation.

Plus concrètement, lorsque le logiciel affiche un mur, c’est en fait bien plus que ça. La modélisation embarque les matériaux utilisés, les dimensions et de nombreuses autres données qui permettent d’avoir une vision globale de chaque partie d’un bâtiment. Grâce à ces données, il est possible de penser l’éco-conception en amont, en plaçant les murs selon leur exposition au soleil pour chauffer sans recourir au chauffage, par exemple.

Les informations sont ainsi traitées plus rapidement et avec moins d’erreurs, et l’impact écologique s’en ressent. Une avancée de taille, qui alimente l’espoir de voir les constructions zéro carbone se généraliser.

Au-delà du ravalement de façade

D’autres outils numériques précieux peuvent permettre d’aller plus loin dans la projection et la maîtrise des enjeux environnementaux. C’est le cas de l’Intelligence Artificielle, qui permet d’optimiser la conception grâce à la simulation énergétique. Fini les déperditions d’énergie, le bâtiment peut prévoir les îlots de chaleur et s’adapter à l’ensoleillement annuel. De simples capteurs permettent d’évaluer la température pour éviter d’utiliser la climatisation, quant aux interrupteurs, ils sont pilotés de manière intelligente pour éviter la surconsommation.

Certaines avancées vont même plus loin, et paraissent aussi surréalistes que les châteaux dans le ciel de Thoreau. On pense notamment aux lunettes de réalité virtuelle à destination des chefs de chantier qui peuvent projeter les maquettes produites par le jumeau numérique, directement sur le site de construction. Cette technique permet d’apercevoir et de prévenir immédiatement les erreurs, ce qui rend possible des prises de décisions plus rapides, tout en limitant les coûts de réfection qui grèvent aujourd’hui très souvent les chantiers. À la clé, un gain de temps précieux combiné à une meilleure qualité.

Plus qu’un engagement de façade

Sauver le bâtiment de son gouffre écologique suppose de prendre des décisions fortes en faveur de l’éco-conception. C’est dans cette direction que se tracent aujourd’hui les nouvelles frontières de l’urbanisation aussi bien que celles de l’architecture. Il faut autant que possible bannir le béton de l’habitat individuel pour se tourner vers une plus grande diversité de matériaux. Le bois bien sûr, mais aussi la paille pour isoler, la terre crue ou encore la brique… Privilégier la prise en compte du vivant, comme les expositions au soleil et les innovations thermiques, plutôt que de s’obstiner à vouloir uniformiser les bâtiments. Les options responsables, capables de proposer des alternatives robustes existent, il faut désormais faire en sorte qu’elles deviennent systématiques.

Surtout, il faut convaincre les acteurs du bâtiment d’une chose : le beau n’est pas l’ennemi du bien. Au contraire, il en est la matérialisation. Ils doivent l’entendre. Ainsi, les habitats individuels et collectifs pourront être à la hauteur des défis environnementaux qui nous attendent.

Article initialement paru dans Informatique News.