La digitalisation des directions financières a ouvert la voie à une réinterprétation du rôle de Daf. Désormais, ce dernier repousse les frontières de son périmètre traditionnel de fonction support pour intervenir directement au niveau stratégique de l’entreprise ainsi qu’au cœur de l’efficacité opérationnelle. Portrait de ce ” DAF 3.0 ” par Stéphane Auchère, Finance Manager chez Prodware.

Les circonstances exceptionnelles de la pandémie et des confinements ont éprouvé la résilience de bien des organisations. Cependant, celles qui étaient pleinement engagées dans leur transformation digitale, notamment les directions financières, furent capables de réagir avec agilité et pertinence. A titre d’exemple, les outils d’Enterprise Performance Management (EPM) qui accélèrent et simplifient l’exercice budgétaire leur ont permis de réviser leurs prévisions selon de multiples scénarios, et d’adapter les stratégies de l’entreprise en conséquence – le tout de façon dématérialisée. Dans le même ordre d’idée, les outils de Business Intelligence, de plus en plus puissants et simples à mettre en œuvre, du data management ont permis une meilleure réactivité et un meilleur pilotage. Il est désormais aisé de vérifier l’adéquation entre les chiffres obtenus et les stratégies déployées.

Quand la digitalisation impulse une prise de hauteur

Ces exemples illustrent le contexte où se déroule une transformation inédite du rôle du DAF. De moins en moins défini par l’encadrement des fonctions opérationnelles, le contrôle et la conformité, le “DAF 3.0” est un acteur hybride. Il met à profit la digitalisation des processus financiers et opérationnels pour améliorer l’efficacité de l’entreprise et accompagner sa stratégie. Cette participation du DAF à la stratégie de développement de l’organisation est aujourd’hui considérée comme si cruciale que, selon une étude PwC France, elle constitue désormais la deuxième priorité des directions financières pour 2022 à moyen-terme, derrière le pilotage de la performance.

Le dialogue DAF-Business : des chiffres et des lettres

Cette orientation stratégique est une opportunité et un défi pour le DAF, dont la communication avec le business nécessite de trouver un terrain d’entente. Toujours selon l’étude PwC France, 85% des directions financières des grands groupes constatent des attentes plus fortes en termes de production et de communication extra-financière. En face, le DAF doit quant à lui être capable de diffuser une culture financière dans l’entreprise et rendre plus explicite pour les opérationnels les liens entre process, outils, stratégie et résultats financiers. Tout ceci demande des qualités humaines et interpersonnelles ainsi qu’une volonté commune de dialogue renforcé.

Un possible point de départ pour ce dialogue : les KPI qui ont fleuri dans les organisations, et ce surtout dans les directions financières avec l’adoption d’outils d’analyse de données de plus en plus puissants, qui permettent de créer et de suivre une multitude d’indicateurs sophistiqués. Ces KPI extra-financiers, désormais partie intégrante des opérations, sont également utilisés pour accompagner les opérationnels dans leurs activités et faciliter l’évolution des stratégies quasiment en temps réel. Ainsi, ils permettent de détecter des occasions de création de valeur en toutes circonstances.

De contrôleur à acteur opérationnel créateur de valeur

L’intervention du DAF devient particulièrement intéressante lorsque les données qui reflètent la réalité opérationnelle des équipes du business peuvent être agrégées directement dans les outils métiers. En effet, il peut ainsi déployer son expertise à analyser et interpréter ces KPI, dans l’objectif d’identifier des leviers commerciaux et/ou opérationnels pour les améliorer.

Cette pratique, qui permet au DAF d’appliquer sa maîtrise des chiffres sur la réalité opérationnelle de l’entreprise, est assurément une tendance de fond. Dans une étude d’Accenture dédiée aux “CFOs de demain”, 88% des CFO interrogés déclarent avoir créé de nouveaux indicateurs pour tirer le maximum de leur collaboration avec les autres fonctions de l’entreprise.

Ainsi, le DAF voit son statut évoluer sur une trajectoire le rapprochant du cœur du business. D’abord en endossant un rôle de consultant auprès d’autres fonctions de l’entreprise, notamment pour accompagner de nouveaux business modèles. La transition vers la vente “as-a-service” constitue par exemple un levier de croissance très important mais complexe à mettre en œuvre. Le DAF est donc amené à accompagner toutes les ressources de l’entreprise dans cette transition tout en veillant à son impact sur la marge. Ensuite, en apportant une vision synthétique de multiples paramètres financier et business, il vulgarise le propos financier et le traduit en actions opérationnelles génératrices de valeur. La digitalisation, qui a permis de réduire considérablement les délais en les passant de mensuels à hebdomadaires, voire quotidiens, a également contribué à la compression de la temporalité du cycle information – analyse – action. A titre d’exemple, dans une activité de services, la mise en corrélation, dans un délai court, des taux de « staffing », des niveaux de « backlog » et des viviers de compétence aux différents niveaux de l’organisation permet de déclencher rapidement des actions plus pertinentes, aussi bien sur le volet commercial que RH.

La suite logique de cette évolution, au-delà du conseil et de l’appui, voit le DAF participer directement à la création de valeur. Cette trajectoire, qui place le rôle de la finance au plus près de la création de valeur, est une illustration de la place centrale prise par la finance dans une économie mondiale de plus en plus financiarisée. La valeur totale des actifs financiers mondiaux a en effet augmenté de 56 000 milliards de dollars en 1990 (263% du PIB mondial) à 219 000 milliards de dollars en 2010, sans parler du boom des services financiers porté par la digitalisation, ou encore de la révolution blockchain dont on commence à peine à prendre la mesure de ses effets disruptifs futurs.

Des profils de valeur dans une temporalité changeante

Pour le DAF, comme pour les membres des directions financières, l’un des bénéfices directs des outils d’automatisation est de libérer un temps considérable pour les tâches à haute valeur ajoutée. Affranchi des derniers éléments de production, tant comptables qu’analytiques, le DAF pourra ainsi se concentrer sur l’analyse et le conseil stratégique. Dans ces services, l’analyse, la diffusion des savoirs, la réflexion stratégique sont d’ailleurs déjà des qualités différenciantes qui augurent de nouveaux profils.

Les directions financières seront très probablement plus orientées vers le recrutement de profils à haute valeur, très qualitatifs, et donc coûteux. Les entreprises devront donc réussir à attirer et retenir ces collaborateurs, qui eux-mêmes devront monter en compétences face à la sophistication des outils. Pour les deux parties, les questions de formation continue seront cruciales pour résoudre cette équation.

Enfin, on peut souligner que c’est toute la temporalité du métier de DAF qui se transforme. 59 % des directions financières interrogées par PwC déclarent avoir dû modifier leur approche budgétaire, avec pour objectif de réduire la durée du cycle budgétaire à 4-10 semaines. Parallèlement, 51% des DAF souhaitent faire évoluer leurs outils de trésorerie et augmenter les fréquences de prévision dans ce domaine de façon quotidienne et hebdomadaire.

Dans le même temps, le mode d’intervention du DAF passe de la récurrence annuelle, trimestrielle ou mensuelle à un présent continu, où la disponibilité des données et leur analyse quasiment en temps réel permettent une immédiateté de l’action et du résultat jusqu’alors hors d’atteinte. Un modèle lui-même voué à évoluer davantage, avec l’Automatisation Robotisée des Processus (RPA, dans la version anglaise de l’acronyme) comme prochaine étape de la transformation digitale – un prélude à l’apparition du DAF 4.0.

Tribune initialement parue dans Daf-mag.