Anticiper, prévoir, deviner l’avenir…, l’analyse prédictive a toujours fait rêver les êtres humains.

« Gouverner, c’est prévoir », dit-on. L’étymologie aussi bien grecque (kubernêtikê, de kubernân, gouverner) que latine (gubernaculum, gouvernail d’un navire) de ce mot renvoie à l’idée du gouvernail. Les mots « gouverne », « gouvernail », « gouvernement » ou « gouverneur » ont en commun cette étymologie avec l’instrument qui permet le pilotage des bateaux. Le terme est utilisé métaphoriquement en parlant de la direction d’un État ou de la « gouvernance » d’une entreprise.

Un autre mot dérive directement de kubernêtikê : celui de « cybernétique », la théorie élaborée par Norbert Wiener aux États-Unis à la fin des années 40. Cette approche nouvelle s’appuyant sur la théorie du signal et de l’information visait à développer une méthode d’analyse et de synthèse des relations fonctionnelles et des mécanismes de contrôle dans les systèmes complexes, que ce soit en biologie, en politique, en économie, en sociologie, en informatique, etc. Cette théorie a été à l’origine d’une multitude de développements directs qui, pour une large part, ont structuré l’imaginaire et la réalité technico-scientifique du monde contemporain. Pas de sciences cognitives, de neurobiologie et de neurosciences ou d’intelligence artificielle, pas d’internet, d’IoT, ni de sciences de l’information et de la communication, pas d’automatique ou de robotique sans le cadre conceptuel fourni par cette « théorie entière de la commande et de la communication, aussi bien chez l’animal que dans la machine ». Même la pensée écologique doit quelque chose à la cybernétique. La permanence du préfixe « cyber » dans le langage est d’ailleurs la trace transversale de cette empreinte déterminante de la cybernétique.

Gouverner, c’est donc tenir le gouvernail pour commander, contrôler et communiquer. Il s’agit par là d’anticiper les turbulences pour s’orienter de façon sécurisée, et ne pas être surpris lorsque surgit la tempête. Chaque chef d’entreprise doit en quelque sorte avoir le pied marin car l’évolution des marchés est devenue aussi aléatoire que celle de la haute mer. Si on parle de « capitaines d’industrie », ce n’est sans doute pas par hasard.

Le pouvoir d’anticipation

Anticiper, prévoir, deviner l’avenir…, l’analyse prédictive a toujours fait rêver les êtres humains. De la Pythie aux devins en passant par les chamanes, les astrologues, les voyants, les lecteurs de tarots ou les chiromanciens, on a toujours tenté de savoir comment s’orienter en se représentant de quoi demain sera fait. La science-fiction a largement fait appel à ce ressort qui stimule les imaginaires : The Minority Report imaginé par Philip K. Dick où une police nommée « Precrime » intervient juste avant qu’un crime ou qu’un délit ait été commis en est un palpitant exemple. Les algorithmes prédictifs sont en passe de donner corps à ce rêve ancestral.

Parmi les nouvelles frontières repoussées par l’innovation, celle de la multiplication des capacités d’anticipation (et donc de la modélisation de l’évolution complexe des processus dans le temps) est sans doute l’une des plus fascinantes.

Dans le monde de l’entreprise, on a longtemps fait confiance à l’intuition, notamment celle du chef d’entreprise qui connaît parfaitement son marché, en la considérant comme un outil fiable pour engager des décisions clés. Pourtant, au regard des performances récentes des systèmes prédictifs, cela équivaut à peu près, pour un grand nombre de secteurs d’activité, à piloter dans le brouillard ou à fonder des prévisions décisives pour l’entreprise sur l’espoir qu’un désir se réalise en croisant les doigts pour éloigner le mauvais sort.

L’historique sur lequel on s’appuyait pour faire des prédictions a longtemps été relativement linéaire en dépit des crises, et cette linéarité permettait d’opérer une projection dans le futur basée sur des variations statistiques assez faciles à anticiper. Ces données historiques simples ne fonctionnent plus. On ne peut plus compter uniquement sur le passé (et sur l’héritage de certains schémas) pour savoir quoi faire dans l’avenir. Il faut, de façon urgente, prendre en compte la plus grande complexité des contextes.

Par ailleurs, les sursauts et les retournements des marchés sont aujourd’hui tels que l’expérience, autrefois bonne conseillère, se heurte à une instabilité devenue systémique, et ne représente finalement qu’une aide en rapide voie d’obsolescence. Autrement dit, pour prédire, il faut considérer aujourd’hui un nombre de paramètres infiniment plus vaste qu’autrefois – « autrefois » désignant ici en fait une période très récente. Il convient également de les analyser avec davantage d’acuité afin de mettre à jour des corrélations multiples, souvent difficile à percevoir sans les nouveaux outils développés par l’informatique décisionnelle (Business Intelligence).

Il s’agit à la fois de voir plus clairement et de façon plus vaste, de voir plus loin et plus juste. Bref, il s’agit de s’appuyer sur les nouvelles technologies pour savoir quels objectifs peuvent raisonnablement être atteints, et quels sont les moyens à mettre en place pour y parvenir.

Réduire l’incertitude

L’analyse prédictive est une réponse à l’incertitude qui règne en un temps où plus rien n’est sûr, et surtout où plus rien n’est durablement stable. Cette difficulté à anticiper est encore renforcée par les interactions toujours plus puissantes entre la multitude d’intervenants d’un circuit économique dans un univers globalisé (fournisseurs, matières premières, sous-traitants, supply chain, distributeurs, logistique, politique, etc.). Ainsi, toute décision de management doit prendre en compte aujourd’hui un niveau de complexité encore jamais atteint.

Dans un tel contexte, l’une des difficultés majeures d’une entreprise est, encore plus que par le passé, de parvenir à anticiper de façon correcte la demande des clients potentiels (en BtoC comme en BtoB) pour les produits qu’elle fabrique et distribue, voire les produits qui n’existent pas encore ou ceux qu’elle devra faire évoluer. Cette capacité initiale va en effet déterminer le juste niveau de production à engager, et ces décisions vont-elles-mêmes avoir d’importantes implications, notamment en matière de logistique et de distribution. En fait, l’aptitude à prévoir correctement la demande va déterminer toute la séquence de vie économique de l’entreprise, et, en dernière instance, la qualité de ses marges de rentabilité et de profit. C’est en grande partie dans cette capacité à prédire que se joue aujourd’hui la santé ou même la survie d’une entreprise.

Décider quand tout devient indécidable

La pandémie mondiale est une tempête comme l’économie n’en n’a pas connue depuis longtemps. Les nouveaux paramètres mis en évidence par le Covid-19 sont tellement impactants qu’ils pourraient venir invalider de nombreux schémas d’analyse éprouvés. La rapidité, la violence, et la profondeur de la crise ont fait émerger des équations à multiples inconnues qui obligent à annuler, majorer ou minorer les données de base en fonction de schémas d’évolution devenus à la fois plus complexes et plus aléatoires. Cette crise a détruit non seulement les régularités de comportements permettant de modéliser facilement le futur, mais a mis en évidence de nombreuses zones de fragilité du système économique mondial. La situation que nous traversons semble un cas d’école pour démontrer l’utilité économique et sociale des algorithmes prédictifs.

Avec la pandémie et l’incertitude qu’elle fait régner sur le monde, la marche des affaires n’est en aucun cas un long fleuve tranquille. En cette période agitée, l’économie connait de fortes variations. Prédire ce que va être la demande est donc devenu à la fois plus nécessaire et plus difficile que jamais. Si elle n’est pas en soi nouvelle, l’analyse prédictive est totalement révolutionnée par les capacités des nouvelles technologies (essentiellement, l’Intelligence Artificielle, le Machine Learning, le Big Data, l’Internet des Objets) ainsi que par l’immense puissance de calcul acquise par les ordinateurs. Les algorithmes prédictifs aident à se situer dans un champ devenu ultra-mouvant, où rien ne se répète à l’identique, où l’historique ne permet plus de s’appuyer comme auparavant sur de simples régularités statistiques. L’idée qu’ils matérialisent est de se projeter sans risque dans des futurs possibles pour développer la clairvoyance sans laquelle aucune bonne décision n’est possible.

La complexité pour réduire la complexité

Utilisant des indicateurs multi-sectoriels basés sur l’Intelligence Artificielle et des modélisations profondes, ces nouveaux outils proposent d’observer une multitude de futurs alternatifs. La comparaison de l’efficacité de ces différents scénarii permet de définir des plans B, C, D, etc. Ainsi, la mise à jour de ces futurs alternatifs sécurise le plus possible les investissements par l’organisation de schémas d’approvisionnement, de production, et de logistique en phase avec l’évolution concrète des situations.

En ne faisant pas du futur le simple déploiement linéaire du présent, en permettant de développer des scénarii complexes, parfois contre-intuitifs mais qui s’avèrent être finalement les plus performants, les algorithmes prédictifs de la Business Intelligence aident à la prise de décisions parfaitement circonstanciées. Ils permettent par ailleurs de fabriquer en temps réel des tableaux de bord de prédiction qui donnent une visibilité, en semaine ou en mois, permettant à l’entreprise de se projeter dans l’avenir de façon moins incertaine. La complexité technologique des outils résout brillamment la complexité́ psychologique et analytique de la prise de décision.

Les algorithmes prédictifs de l’informatique décisionnelle constituent une nouvelle façon de penser le futur, et de s’appuyer sur lui pour savoir quoi faire du présent. Détecteurs de gisements de croissance profitable, ils s’imposent ainsi de plus en plus comme de véritables co-pilotes de toute entreprise soucieuse aujourd’hui d’assurer sa croissance et de sécuriser son avenir.

Ils sont en quelque sorte à la fois la boussole et le gouvernail qui permettent d’affronter la houle par gros temps en sachant la voir venir et l’anticiper. Avec les algorithmes prédictifs apportés par l’innovation, on peut désormais dire « Réussir, c’est prévoir ».

Article initialement publié dans La Tribune