Le virtuel sert de porte d’entrée sur le réel grâce aux digital twins, également connus sous le terme jumeau numérique annonce Matthieu Piat, de Prodware. Voici ce qu’il faut en savoir.

« Aux frontières du réel », tel fût longtemps le topique des romans d’anticipation qui, à force de récits, tendaient à dissoudre les frontières entre deux mondes autrefois parfaitement dissociés : celui de la réalité sensible et celui de la virtualité numérique. Ces récits anticipaient l’interpénétration de ces deux univers et ouvraient ainsi de nouveaux horizons et de nouvelles frontières. Aujourd’hui, la réalité a rejoint l’anticipation : le virtuel sert de porte d’entrée sur le réel grâce aux digital twins, également connus sous le terme jumeau numérique.

Utilisé depuis des décennies par la NASA pour suivre ses missions dans l’espace, comprendre, diagnostiquer et corriger à distance les défauts d’une machine, ce concept a pris depuis sa place dans la plupart des secteurs. Les opportunités qu’il offre sont en effet considérables, notamment dans le domaine de l’industrie. Attention néanmoins, l’intégration d’un jumeau numérique est avant tout un projet collaboratif de transformation numérique.

Au-delà du BIM, le jumeau numérique 

A l’ère de la transformation digitale, les bâtiments sont connectés et communicants. Le BIM (Building Information Modeling) incarne la « carte vitale » de l’ensemble de la structure. Cependant, il ne suffit plus : cette cartographie 3D, une représentation virtuelle du réel, ne pourra voir son intelligence, voire son expression numérique, évoluer que par l’adoption du concept de jumeau numérique. Il est celui par lequel transitent les flux de données entre  espace réel et espace virtuel, dans un échange réciproque d’informations.

Il est un modèle numérique et systémique d’un objet ou d’un processus qui permet d’atteindre, d’agréger et de synchroniser toutes les données liées à ses besoins, son comportement, sans avoir à accéder systématiquement au modèle physique. Son adoption, grâce à un ensemble de capteurs reliant les différents équipements à leur représentation 3D, permet de réduire les coûts, de suivre la chaîne de production, d’optimiser la maintenance et la performance d’un service ou d’un produit, de faire face à des défaillances matérielles éventuelles et, surtout, d’innover. La valeur ajoutée par rapport aux process traditionnels est sans commune mesure, d’autant plus qu’une fois connecté à un système physique, le jumeau numérique le sera tout au long de son cycle de vie, engageant ainsi toujours plus de fiabilité matérielle et logicielle.

Bâtiment et industrie, nés sous le signe du jumeau

Si la création d’une maquette est une étape essentielle dans la conception d’un bâtiment ou son optimisation, elle n’est pas suffisante sans une couche précieuse d’analytique. Dès lors, il apparaît qu’en convergeant avec celles liées à la chaîne de production, les données spécifiques liées au bâtiment permettront d’optimiser tout l’écosystème d’une usine dans sa globalité. Tout comme le croisement de l’IT et de l’OT est un prérequis désormais incontournable pour saisir les opportunités liées à l’Industrie 4.0, faire collaborer et interagir les données du bâtiment à celles de la chaîne de production est désormais un passage obligé. 

Pour en arriver là, il a fallu prendre toute la mesure de ce qui, une fois posé et admis, semble une évidence : la conception de la construction d’une usine est indissociable de celle de son exploitation. Les problématiques sont les mêmes, seules diffèrent les notions d’échelles. Le jumeau numérique est l’instrument privilégié de cette convergence fondamentale de l’industrie 4.0. Celui dédié au bâtiment va donc permettre de penser la construction, d’optimiser le comportement du bâti dans un futur proche, en sélectionnant les matériaux et configurations appropriés ou en proposant dès le début des espaces modulables. 

Le jumeau numérique industriel va quant à lui prendre en considération toutes les données liées au contenant, mais, dans une vision globale, il devra nécessairement descendre jusqu’à un niveau détaillé, jusqu’à ses plus petits contenus, autrement dit, ses machines et ce qu’elles peuvent produire. 

Ce ne sont donc plus deux mondes qui évoluent parallèlement, voire s’ignorent – l’architecture et les techniques du bâtiment, d’un côté, l’ingénierie industrielle, de l’autre –, mais deux compétences qui désormais intègrent leurs différences dans un mix d’intelligence qui produit tous azimuts de l’optimisation et de l’économie. Grâce au jumeau numérique, c’est là encore une étanchéité liée au fonctionnement en silos désormais dépassé qui s’efface au profit d’une plus grande ouverture qui offre de nouvelles frontières, de nouveaux horizons.

Le jumeau numérique, source inépuisable d’innovation

Alors concrètement, comment s’articule cette collaboration jumeau numérique bâtiment/ jumeau numérique industrialisé ? Prenons un exemple simple : celui des gaines industrielles. Omniprésentes et prépondérantes dans le monde du bâtiment, il suffit que certaines soient identifiées sur le site, mais pas forcément sur les plans pour qu’un projet d’extension tombe à l’eau. Ce genre de problématiques qui semblent au départ  des détails, représentent in fine une perte de temps et d’argent. Faire converger les données de ces deux jumeaux permet de sortir de ces espaces aux représentations déstructurées et de livrer à un moment donné  une vision globale de l’usine. 

Ceci n’est cependant qu’une infime partie des opportunités offertes par le jumeau numérique. Au-delà d’une exploitation parfaitement rationalisée de l’espace, il peut servir à simuler l’implantation d’un automate, d’une chaîne de production. Il capte en temps réel l’état de la production, de la machine et de ses différents consommables, et ainsi optimise les opérations de maintenance. Il est capable de faire des corrélations entre le rendement de deux unités industrielles aux activités semblables, et de comprendre les différences de performances. Il peut même souligner certaines interférences potentiellement néfastes au fonctionnement des automates dans leur ensemble. 

Le jumeau numérique est donc un outil précieux d’anticipation, de simulation, de décision, et également d’intégration. Il est possible d’ajouter à tout moment des données de maintenance, des fiches techniques ou des fiches signalétiques sur différents composants : un accès rapide et simplifié à l’information pour le responsable de la maintenance qui n’en sera que plus efficace. Autre scénario possible : former de nouveaux collaborateurs, grâce à la réalité virtuelle, à des opérations d’entretien sans que ces derniers ne soient nécessairement sur site. Bâtiment et chaîne de production sont désormais liés par des rapports d’intégration de plus en plus fins.

Pour les fabricants d’objets connectés, le concept de jumeau numérique est une source inépuisable d’innovation, aussi bien dans les objets eux-mêmes que dans les services qui y seront associés. Ils peuvent faire preuve d’une imagination presque sans limites. Reste aux services ingénieries à se laisser embarquer, et non pas se réfréner. 

Le jumeau numérique est un concept accessible à tous, et d’autant plus judicieux pour les vieilles usines, les vieux bâtiments qui souffrent de contraintes structurelles. Il fédère tous les services dédiés dans un esprit collaboratif pour permettre de sortir avec justesse et performance de ces contraintes en anticipant l’avenir. L’adopter, c’est faire preuve de bon sens.  

Tribune initialement parue dans Zdnet.fr